07/10/2010

DRAGOS TARA

Impressions post mortem
Réactions à l'article de Thomas Meyer dans Dissonance
la musique improvisée est-elle morte?

Ces quelques lignes viennent apporter une note plus personnelle aux articles plus fournis publiés ici et là auxquels j'ai pu m'associer. J'y renvoie aussi pour les éternelles polémiques que le terme musique improvisée peut soulever.

Quelle que soit la frustration à lire cet article, plus ignorant que méchant à vrai dire, mais néanmoins nocif,je me dis que le problème n'est pas tant ce monsieur Meyer mais plutôt certaine façon de penser la vie musicale suisse. C'est donc dans ce sens (la vie musicale suisse dans un sens plus large) que j'aimerais ajouter quelques mots au flot déjà déclenché maladroitement par l'article de Dissonance.

Torpeur au pays sans fièvre

Ce qui frappe tout d'abord et qui a maintenant maintes fois été relevé c'est que les jeunes générations sont absentes de toute réflexion dans cet article. L'immobilisme qui se dessine alors témoigne de la phénoménale inertie d'un pays timide, gêné, qui a besoin de d'avancer en sécurité. Il va de soi que d'accorder de l'attention à des jeunes artistes suisses avant que ne l'ait fait Paris ou Berlin signifierait un saut dans le vide de la presse spécialisée suisse.

Il faut tout d'abord se demander qui serait capable de juger des pratiques contemporaines dans les structures de relais : presse écrite, radiophonique, télévisée (on ose à peine citer ce média qui vit carrément dans un autre pays). La Suisse fait frémir en comparaison de ses voisins français et allemands quant il s'agit de dépasser les références classiques et académiques. Quelques îlots ici et là pour raconter les pratiques en train de s'inventer., mais la presse spécialisée est sporadique et souvent académique. Partout ailleurs, dans les maigres encarts culturels des quotidiens, l'autocensure est de rigueur, le public doit être rassuré.

Les musiques et pratiques artistiques les plus récentes, souvent inclassables, et dans lesquelles la musique improvisée s'intègre, de même que de nouvelles approches de la composition, mais aussi du sound art, de la performance, etc… constituent le défi que toute culture vivante jette aux classifications muséifiantes. Mais il est rare de voir ce défi relever dans nos contrées.

Si ce pays paraît petit, il faut bien dire que c'est surtout en matière d'ambition artistique, culturelle. S'il en va tout autrement pour la finance, l'industrie pharmaceutique ou la vente d'armes (je ne m'égarerai pas plus loin), les acteurs culturels sont confronté au rempart d'une presse érigée gardiens d'un contrat social figé avec un peuple supposé inapte aux innovations.

La structure fédérale de la Suisse vient encore ajouter à ce sentiment de vivre à l'étroit, dans un pays qui voit souvent s'exporter ses artistes. Il est d'ailleurs piquant de noter l'écho hors frontière dont bénéficient la plupart des artistes suisses ignorés par l'article, leurs innombrables connexions européennes (et parfois au-delà), au vu de ce manque de reconnaissance en Suisse.

La culture suisse et sa grande absente: la Suisse

La particularité la plus évidente de la Suisse est probablement en effet ce système fédéral. Il signifie tout d'abord l'absence de véritable ligne commune.
Quelle est la politique fédérale en matière de culture ?

Comme je le disais plus haut, ce billet d'humeur ne vise pas spécifiquement Thomas Meyer, mais il faut bien dire qu'il est significatif que quelqu'un qui pense comme lui soit affilié à Pro Helvetia.

En dépit d'une ligne claire commune ou d'un effort commun de rééquilibrer les régions, le fédéralisme se borne à renvoyer la responsabilité aux cantons et aux communes. Il n'est plus la peine de rappeler les difficultés auxquelles sont confrontés les projets trans-cantonaux ne parvenant pas à remplir les critères changeants et flous de Pro Helvetia.

C'est bien l'identité de ce pays en tant que tout qui pose problème, A défaut d'une initiative commune, les régions minoritaires, (francophones par exemple pour ne citer que ce que je connais le mieux), paye souvent le prix de l'absence de reconnaissance (pour ne pas dire plus) de leur travail par une Suisse plus institutionnelle.

Des réseaux oui, mais des voix ?

Je ne voudrais pas que ces lignes fassent croire que je pense que la vie culturelle ne dépend que des structures politiques et économiques. C'est simplement que cet article est l'occasion de mettre en relief le manque de relais et de reconnaissance auxquels sont confrontés les acteurs culturels ici.
Les artistes cités dans l'article de Dissonance en savent quelque chose, pour s'être battus pendant des décennies avant de se voir octroyer de la reconnaissance.

Les pratiques artistiques sont parties du tissu social et interrogent l'ancrage des artistes. dans le monde qui les entoure. Et de ce côté ce sens les artistes suisses sont souvent tragiquement…suisses.

Je désigne par là cette peur de monter au créneau, de faire du bruit après 22h, de la polémique, de revendiquer son statut, voire de revendiquer tout court.

Il est vrai que la période que nous vivons est peu propice aux manifestes et dogmes. Je ne m'en inquiète pas vraiment et me sens tout à fait en phase avec cette structure en étoile de mer, des nombreux réseaux qui composent ce pays ainsi que toute la scène européenne. Nul besoin de réunir tout le monde sous une seule bannière.

Ce qui m'inquiète davantage c'est qu'en Suisse il est très rare de voir les musiciens dirent ce qu'ils disent ces jours ci, ainsi que d'être prêts à mettre sur papier leur idées, de se regrouper pour rappeler que, par exemple, la musique improvisée suisse (et ses ramifications vers d'autres musiques, disciplines et pays) est intéressante, stimulante et importante pour la vie en Suisse. Si je tiens à y prendre part, c'est que je pense qu'elle constitue la frange la plus vivifiante de la pratique musicale de ce pays.

Pas de conclusion, mais pour l'avenir: Merci Monsieur Meyer !

Comme je viens de le dire les initiatives et prises de paroles de ces derniers jours sont rares et il faut donc user d'un des rares tremplins qui nous sont offerts pour être entendus.


Dragos Tara,
musicien

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