01/10/2010

DENIS BEURET

La musique improvisée est-elle morte ?

La musique, en tant qu’art du temps, se meurt à l’issue de chaque interprétation d’une œuvre, que celle-ci soit écrite ou improvisée n’y change rien. Une fois qu’on a fini de jouer, la musique cesse de vivre, si ce n’est dans nos souvenirs; à moins qu’elle ne soit enregistrée ou transcrite, de mémoire ou grâce à l’écoute d’un enregistrement, auquel cas, on pourra lui redonner vie momentanément, le temps d’une écoute de disque ou d’une interprétation, jamais plus longtemps.

La musique n’est pas figée, au contraire d’une œuvre d’art, plus ou moins immortelle, mais vit de manière éphémère, le temps qu’on la joue, pas plus. Il est donc difficile de spéculer sur la valeur de la musique.

La musique improvisée est la musique car toute musique part d’une improvisation, quand bien même celle-ci se résume parfois à improviser un motif de quelques notes et à échafauder ensuite, sur cette base, toute une symphonie.

L’improvisation est égale à l’inspiration et tout le monde conçoit que sans inspiration il n’est pas d’œuvre musicale digne de ce nom.

L’improvisation est expérimentation et elle permet de trouver de nouveaux langages musicaux qui seront ou non figés et codifiés par l’écriture et la composition.

L’improvisation est la vie. La vie est improvisation. Toute notre vie, nous improvisons notre vie.

Maints compositeurs du passé ont été des improvisateurs renommés, Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Saint-Saëns, Chopin, Messiaen, … pour n’en citer que quelques-uns.

Maints improvisateurs actuels sont des compositeurs et il n’y a pas de raison de mettre en doute le lien qui existe entre ces deux actes musicaux que sont l’improvisation et la composition, ni d’élever l’un de ces actes au-dessus de l’autre. Les improvisateurs composent en temps réel, les compositeurs en temps différé. Le reste n’est que vaine et insalubre querelle.

L’écriture musicale, faut-il le rappeler, a été inventée pour servir de pense-bête aux musiciens, afin qu’ils se souviennent d’airs connus, puissent noter leurs idées musicales et transmettre leurs connaissances à d’autres musiciens.

Prétendre que l’improvisation est morte équivaut à dire que la musique est morte !

Une musique est morte quand plus personne ne la joue, mais elle peut renaître dès qu’un musicien la rejoue.

La musique de Bach n’a pour ainsi dire plus été jouée depuis sa mort (celle de Bach, pas de sa musique) jusqu’à l’époque Romantique. Etait-elle morte pour autant ?

De nombreuses compositions de musique ancienne furent ressuscitées au vingtième siècle alors qu’elles avaient, pour la plupart, sombré dans l’oubli pendant des siècles et aucun critique ou journaliste musical n’avait prédit leur résurrection.

Une des caractéristiques de notre époque est que l’on joue plus de musique de compositeurs décédés que de compositeurs vivants, hormis les compositeurs de musique de divertissement.

Ce constat amène deux questions :

Pour quelle raison la musique de compositeurs décédés est-elle plus jouée que celles des compositeurs vivants ?
Comment se fait-il que les compositeurs de musique de divertissement soient plus joués que les compositeurs décédés depuis plus de 50 ans ?

Les raisons sont malheureusement plus financières qu’esthétiques :

Les compositeurs contemporains sont protégés par les droits d’auteurs et les promoteurs culturels rechignent à prendre des risques en programmant un compositeur contemporain, d’autant plus qu’ils devront payer des redevances pouvant s’élever à 10% du budget total. Ils préfèrent programmer des compositeurs « ayant fait leurs preuves » et dont les œuvres ne sont plus protégées. Ils font ainsi une double économie.

L’industrie de la musique de divertissement est basée sur les modes qui sont, par définition, éphémères.

Et la musique improvisée dans tout cela ?

La musique improvisée n’est pas un produit commercialisable : On peut, bien entendu, enregistrer des concerts, graver des disques et inonder le marché avec des disques de musique improvisée, mais il est totalement contraire à l’esprit de l’improvisation de reproduire à l’identique, lors d’un concert, une improvisation passée.

Or l’industrie musicale est formatée selon les mêmes modèles que l’industrie tout court :
Reproduire à l’identique et au moindre coût des produits formatés pour plaire au plus grand nombre et dont la durée de vie est la plus courte possible. Notre société de consommation est basée sur ce schéma et l’on n’a pas encore mesuré l’ampleur des dégâts environnementaux et humains engendrés par cette course effrénée aux profits. Le réchauffement climatique qui s’amorce aura des conséquences que nul ne peut imaginer.

Et la musique improvisée dans tout cela ?

En refusant d’entrer dans ce schéma industriel, la musique improvisée est encore et toujours un mouvement de contestation, comme dans les années 60, rien n’a changé !

La musique improvisée s’est simplement adaptée en intégrant de nouveaux composants telle l’utilisation de l’électronique ou de techniques et langages contemporains, souvent eux-mêmes issus d’expérimentations improvisées. La boucle de rétroaction ainsi formée et la faculté d’adaptation réciproque de l’improvisation et de la composition démontre la vitalité de la musique contemporaine car, comme tout le monde le sait :

La faculté d’adaptation est le propre des organismes vivants !

CQFD

Denis Beuret
Ministre Suisse de la Culture
Tromboniste, improvisateur, compositeur, développeur, …
Membre des comités : SMS, WIM Bern, 11+ Lausanne
Membres de : ASM, USDAM, SSRS, AMR, Live in Vevey, Spirale, Nouveau Monde, …
Administrateur de l’Association Nouvelles Créations

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